(F) MARINA NERY.

Je pensais avoir toujours été respecté, jusqu'au moment où j'ai perçu un flot de vérité.

Mes parents m'ont marié, quand je n'avais pas encore dix ans. J'ai été marié, avant même de pouvoir émettre une objection ou mesurer les conséquences de cette décision. Ils ont signé un « putain » de contrat, ce genre de contrat qu'à chaque instant d'ennui profond, j'ai envie de jeter à la poubelle. De déchirer, et de jeter. C’est à presque vingt-et-un ans, que j’ai appris cette nouvelle. Depuis, je n’ai cessé de penser à cette femme qui m’a été promise. Je n'ai fait que me demander comment une famille avait pu faire la même erreur que la mienne. Comment on pouvait être plusieurs à se faire pourrir l'existence. Intérieurement, je me demandais aussi à quoi elle ressemblait. Si j'arriverais à l'aimer, à ressentir ne serait-ce que de bons sentiments à son égard. J'avais peur, peur de la haïr. J'avais peur que ce contrat n'entache à jamais une potentielle histoire.

Mais quand je l'ai vu, il y a quelques mois maintenant, je suis resté subjugué. Non pas à cause de la splendeur de son visage, mais pour ses convictions qu'elle m'avait gentiment confiées, à l'écart de tout et de tout le monde. Elle m'a plu, son intelligence m'a plu. A travers ses traits, j’ai réussi à voir la sœur éduquée que je n'ai jamais eue et que j'aurais aimé avoir.

Ma sœur, elle, a disparu de ma vie. Elle n’appartient plus qu’à mon passé. Je ne me sens plus d'avoir de ses nouvelles. J'aurais trop peur de souffrir. Elle a montré sa faiblesse. Elle a versé des larmes et a touché la drogue. Elle n'a pas pu résister à la vie que, dès sa naissance, tous lui ont imposée. Tous, moi y compris. Elle n'a pas eu ma force, mon courage. Pas une fois, elle ne m'a souri, ne m'a accordé un regard. On ne s'est jamais vraiment connu, ni parlé. Enfin, elle est partie. Elle n'a pas fui, comme moi. Elle a simplement été envoyée dans une école de redressement, soi-disant pour soigner son addiction. Foutaises. Mes parents ont juste cherché à s'en débarrasser. Parfois, je regrette de n'avoir rien fait pour la comprendre, de ne pas l'avoir serrer dans mes bras pour la consoler, de ne pas avoir été véritablement un frère. J'ai la sensation d’être passé à côté de quelque chose, qui aurait été important, pour elle comme pour moi.

Ma promise est une manière pour moi de me racheter. Mais j'ai peur. Encore une fois. J'ai peur de me marier avec elle, dans un an. Je ne l'aime pas. Je ne l'aimerais d'ailleurs jamais. Elle non plus ne m'aime pas, je le sais. J'en suis convaincu. Notre discussion n'était que des mots, du vent. Elle a peut-être de belles convictions, et c'est tout à son honneur. Mais, elle n'aura jamais l'occasion de ressentir quoi que ce soit pour moi. Je sais qu'elle ne peut que me confier sa colère contre ses parents, sa colère contre ce mariage. Moi, je pourrais aisément lui confier mon passé. L'histoire de ma sœur. Je pourrais la prendre comme ma sœur. Mais j'ai peur. Encore. J'ai peur qu'elle me rejette, qu'elle m'ignore ou me balance ses mots. Ces mots qui lui sont propres et qui la rendent sublime. Je suis perdu.